Je pris le volant à 3 h 30 en direction du Mont-Tremblant. L’écho de la première édition de la Spartan Ultra à Tremblant se fait toujours ressentir dans mon esprit. C’était une défaite cuisante face à un défi sans pitié. J’avais toujours en tête les deux tours de 27 km avec 2 500 mètres de dénivelé accompagné des pires conditions météorologiques; l’air glacé piquait notre peau, le vent fouettait le visage et les sentiers étaient des rivières de boue. Sur les 200 participants, il n’y en a que 38 qui passeront la ligne d’arriver soit 6 coureurs élites, 23 groupes d’âge et 9 ouverts. Après avoir goûté à l’amertume de la défaite, je comptais prendre ma revanche en 2023. Bien déterminé derrière mon volant, je me réexplique mon plan pour réussir la 2e édition de la Spartan Ultra du Mont-Tremblant. Au lieu d’avoir deux tours égaux, nous allons avoir un premier tour de 30 km et un deuxième tour de 21 km. Cette modification est majeure. Tout simplement parce qu’après un tour, nous aurons accompli 60% du parcours. Cela est psychologiquement plus encourageant. Ma stratégie était simpliste. Maintenir un rythme moyen de 5 km/h durant toute l’épreuve, et ce malgré les obstacles et l’arrêt à la transition.
5 h 15, il y a déjà une file d’attente de voitures pour se stationner. Le bénévole me fait signe de passer devant le kiosque d’enregistrement pour me stationner plus loin derrière. Le pied au sol, je lève les yeux. Les nuages sont épais et gris foncé. L’eau ruissèle sur mon visage. Je réalise que la pluie n’arrêtera pas de la journée. Telle une sœur jumelle, la bouette nous attend. Ça sera une belle journée. Au fond de moi, je souhaite avoir du défi. La satisfaction d’avoir réussi n’en sera que plus grande. J’entends le son des tambours de guerre m’appeler au départ. Pour s’y rendre, il faut ramper en dessous du barbelé et sauter par-dessus un mur de 4 pieds. Ses deux obstacles ne sont qu’un amuse-gueule, car la vraie course va bientôt s’amorcer. Le peloton de départ se remplit graduellement. Puis à 6 h 15, le départ est lancé ! Immédiatement on ressent déjà la violence du défi. Une pente abrupte taxe sévèrement les jambes. Le rythme des coureurs est affecté. L’avancement se fait aux pas de tortue. Cinq obstacles nous attendaient au sommet. On rampe en dessous du barbelé pour atteindre les barres de singe. Les barres sont larges et dégouline d’eau. Le coureur devant moi chute au deuxième barreau. J’attaque prudemment l’obstacle en le franchissant de côté (voir photo). Une fois réussie on enchaine le filet cargo vertical et le mur de 7 pieds.
On recommence à descendre, mais notre élan est coupé par l’escalier spartiate. J’attrape les deux premières prises d’escalade. J’empoigne une prise plus haute permettant ainsi de monter le pied sur une prise plus basse. J’atteins la première barre le l’échelle pour grimper l’escalier spartiate. Une fois de l’autre côté, la descente continue. La vitesse est de mise, car la descente est attaquable. Au bout du chemin, l’Olympus nous guette. Les parois sont très glissantes. Cette fois-ci, rien à faire. Mes pieds touchent déjà le sol avant même d’être rendus à la moitié. Heureusement avec la mise à jour de Spartan, il n’y a plus de burpees. Les pénalités sont des boucles supplémentaires. Alors, c’est dans un bain de boue que je parcours ma boucle de pénalité.
Revenu sur le chemin principal, j’entreprends la douce montée au pas de course. Elle nous mène rapidement à la boîte et au tourbillon. J’attrape la corde et fais une clé de pied pour monter la boîte efficacement. Le tourbillon est mouillé, mais vu que les prises sont petites, c’est plutôt facile d’avoir une bonne emprise sur elle lors de la traverse. Une fois la cloche sonnée, je continue de courir sur le chemin jusqu’à aboutir à l’entrée de la forêt. Ce qui se cache n’est nulle autre qu’une montée vertigineuse. Impossible de faire de petits pas rapides, j’adopte une grimpe qui engage plus de force avec de grandes enjambées. C’est plus épuisant, mais nécessaire pour maintenir le rythme.
Une fois au sommet, je rampe en dessous d’un filet cargo. En me relevant, je vois un long chemin de terre qui redescend légèrement. Un vent frais fait redescendre la chaleur de l’effort. J’aboutis à la station qui permet de remplir mon sac d’hydratation. Certaines personnes préfèrent ne pas arrêter quitte à manquer d’eau. Ce n’est pas mon cas, je suis parti plus léger et j’avais déjà prévu de m’y arrêter faire le plein d’eau.
Il reste 20 km à faire sous la pluie incessante, mais cela était rafraichissant. La reprise de la course est soudainement arrêtée par un mur de 8 pieds. De l’autre côté, il y avait la boucle supplémentaire de l’Ultra. Ça commence par une longue descente de 4 kilomètres en direction du versant sud qu’on doit remonter par la suite. Sur le chemin, il y avait un portage de sac de sable, un court segment de file de barbelé, un portage de boule d’atlas et un portage de deux billots de bois.
De retour au sommet, j’ai le sentiment que je vais réussir à terminer la course. Une énergie soudaine m’envahit et influence mon élan à prendre de la vitesse dans la descente technique. Il y a des racines et des roches partout. Tous mes sens sont aux aguets. J’essaie de mon mieux d’éviter les mares de boues. Je finis par sortir du bois pour atterrir dans une piste de ski.
L’horizon dégagé, on voit le 15e obstacle en bas de la piste. C’est la traverse de la corde suspendue. Sans délai, je m’exécute pour sonner la cloche de l’autre côté. Les deux pieds sur terre ma montre me ramène à la réalité en me signalant que j’ai atteint le 21ekilomètre. Génial, il m’en reste 9 !
Devant moi, une autre longue montée technique qui s’enfouit dans la forêt. Un pas à la fois, je m’attaque à la montée. Elle est ardue, mais heureusement de courte durée. J’atteins rapidement son sommet pour entreprendre une traverse sur le flanc de la montagne, ça remonte un peu pour me mener au « beater ».
J’appréhendais ce moment. Avec la pluie, tous les barreaux sont mouillés. Cet obstacle est difficile à décrire. Il y a des barres de singe à prise large. Ceux-ci effectuent une rotation telle une roue qui recule ou avance selon ton balancement. Il y a 4 barres par roue. La personne devant moi réussit. J’ai décidé de faire le même segment que lui en me disant que les prises seraient plus sèches. Que cela soit psychologique ou non, ça fonctionner, j’avais l’impression que les barres étaient plus essuyées. À ma grande surprise, je réussis l’obstacle aisément et je repars pour une courte descente jusqu’au « bender ». Je dois sauter pour attraper la première barre puis monter l’obstacle telle une échelle inversée.
Le 18e obstacle n’est pas loin derrière en haut d’une légère grimpe. C’est une poutre rectangulaire que je dois franchir. À ce moment-là, je savais que j’embarquais sur le segment le plus facile celui pour le « sprint ». C’est-à-dire une descente en direction du point de transition pour partir sur le 2e tour. Durant la descente, il y a trois obstacles de force ; un portage de chaudière de sable, la levée par poulie de sac de sable et le portage de sac de sable. Toutes ses petites victoires de section en section me permettent d’avancer sans pour autant ressentir de signe de fatigue. Un peu plus loin, j’aperçois un concentré d’obstacles impressionnant, dont le légendaire lancer du javelot et la montée de la corde. Ceux-ci sont suivis du « A-frame», du transport de la pierre d’atlas, du mur glissant et d’un mur de 6 pieds ! Il y a des spectateurs un peu partout le long de ce passage. Ils encouragent tous les coureurs et je me sens reprendre des forces par cette nouvelle énergie.
Je sprint la dernière partie traversant rapidement le mur en Z et le mur inversé. Juste devant la ligne d’arrivée, le « dunk wall » est là. Après 30 kilomètres, rien ne peut m’arrêter. Je glisse dans l’eau sans trop penser à la fraîcheur saisissante qui m’attend. Je retiens mon souffle et promptement, je passe sous l’eau pour émerger de l’autre côté du mur. Le sourire s’accroche à mon visage, je viens d’atteindre le point de transition en 6 h.
Au premier tour, nous ne faisons pas le dernier obstacle le « multi rig» (série d’anneaux de singe, suivi de barre latérale, suivie d’anneau). Nous passons tout droit au point de transition. Mon ravitaillement ne dure que 12 min. J’avais déjà tout préparé la veille pour gagner du temps. Bien que mes jambes commencent à se lamenter, j’entrepris le deuxième tour. C’est à ce moment-là où la partie commence réellement. Le moment, où un coureur doit ouvrir la porte qui donne accès aux réserves supplémentaires de tolérance à la douleur pour continuer. Ayant beaucoup d’expérience en la matière, cela me réjouissait et cela m’a donné l’énergie nécessaire pour terminer la course en 12 h 20 cumulant au total 5000 mètres de dénivelé et 53,2 km (incluant les boucles de pénalité).
Cette année, il y a eu un plus haut taux de finissants soit 13 coureurs élites, 52 groupes d’âge et 30 ouverts (95 en 2023 vs 38 2022). Comme bien d’autres coureurs, je suis fier d’avoir terminé ce défi gigantesque. Je recommande ce défi à tous ceux qui recherchent à repousser leur limite au maximum et à débloquer la limite de la douleur supportable.
Je vous souhaite bon succès et bon courage !
Vincent Grenier
Le rédacteur sportif.
Photos crédit: Spartan Race Canada